Le mercredi 13 février 2008
Survivre à une peine d’amour
Rose-Line Brasset
Le Soleil
Collaboration spéciale
7h30, lundi — À 72 heures de la Saint-Valentin, Damien et moi tenons un meeting de gestion de crise au restaurant Le Cosmos, sur la Grande Allée. Entre deux bouchées d’œufs tournés, nous essayons tant bien que mal de nous réconforter avant d’aller travailler. L’allergie sévère de Damien au chat de sa belle Anglaise aura eu raison de leur passion. Il ne peut l’approcher sans que ses yeux se mettent à larmoyer et ses voies respiratoires à enfler.
— J’ai beau prendre des antihistaminiques, j’ai peine à diminuer les symptômes et je cogne des clous toute la journée. Je dois lui parler. Ça ne rime à rien de continuer.
Pauvre Damien! Quant à moi, j’ai le cœur en miettes puisque l’éloignement a fini par me décourager de continuer avec le Gaspésien chef cuisinier. Avec deux enfants à l’école, je ne peux me permettre d’autant voyager. Comment survivre à un chagrin d’amour à la veille du 14 février? Pas question de sombrer dans le déni, le marchandage ou, pire, dans la dépression. Nous unissons nos forces et notre sens de l’humour dans cette longue marche vers… l’acceptation.
— Dans le fond, il y a des avantages au célibat, dis-je.
— En dehors du fait que ça dégage de la place dans tes placards et que personne ne peut découvrir que tu ne sais pas faire la cuisine? rétorque ironiquement Damien.
— Ben… oui. Je peux lire au lit tard la nuit, m’endormir avec la radio, travailler le dimanche toute la journée et cacher la vaisselle sale en dessous de l’évier sans me le faire reprocher.
— T’as raison! s’anime Damien. Pour ma part, je peux dormir en diagonale avec les jambes écartées et j’ai le contrôle absolu de la télécommande de MA télé.
— Tu peux flamber tout ton argent en tableaux et en antiquités.
— Et toi, passer tes fins de semaine en pantalons de jogging ou en pyjama sans te maquiller.
— Personne ne va te reprocher d’oublier de baisser le couvercle de la toilette ou de ne pas replacer le bouchon sur le tube de dentifrice…
— Tu peux monopoliser la salle de bains jusqu’à minuit et magasiner tous les samedis sans avoir à cacher combien tu as dépensé.
— Et tu n’auras jamais à essayer de faire bonne figure devant une belle-mère anglaise qui n’aurait pas pu te blairer.
(Silence.)
— Je t’en prie, ne te laisse pas submerger par la déception, mon ami, dis-je en lui prenant la main.
— Attendre le grand amour pour que la vie commence enfin n’a jamais été ma tasse de thé, se reprend Damien. Manger avec toi et déconner dès 7h le matin, c’est un peu ça mon cadeau de Saint-Valentin. Et puis mieux vaut attendre une âme sœur qui ne viendra jamais que de s’empêtrer dans des compromis sans fin.
— Tu sais quoi? Les célibataires en bonne santé savent savourer l’instant présent. Ils ne gaspillent pas leur existence en doléances et en prières pour que leur situation change. Ils savent apprécier le fait de pouvoir inviter leur copine cinglée à coucher et de pouvoir laisser traîner chaussures et sous-vêtements sur le plancher sans personne pour s’en formaliser. Tu m’invites à souper ce week-end?
— Avec plaisir!
Nous avons continué comme cela une demi-heure avant de nous lever, rassérénés. Ce soir-là, j’ai fait une petite liste des défauts de mes ex dont j’ai parfois la nostalgie et je l’ai collée bien en vue sur la porte du frigo. Le secret du bonheur réside peut-être dans l’art de cultiver ses amitiés plutôt que le ressentiment et les inimitiés. Un ami vous accepte tel que vous êtes sans chercher à vous «améliorer».