Le samedi 09 février 2008
Le téléphone cellulaire, ce gadget qui a conquis le globe
Samuel Auger et Marc Allard
Le Soleil
Québec
Vous résistez à la tentation? Toujours pas de petit appareil de communication vissé à votre oreille? Vous serez bientôt minoritaire. En 2008, l’ONU annonce que pour la première fois de l’humanité, plus de la moitié des citoyens du globe posséderont un téléphone cellulaire. En 2000, seulement une personne sur 10 cachait un cellulaire au fond de sa poche.Ce n’est plus un gadget de riche. Dans un important rapport dévoilé mercredi, la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement fait état d’une progression spectaculaire du taux de pénétration de la communication sans fil dans les pays en développement. À eux seuls, le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine comptent un milliard d’abonnés au petit objet. C’est près du tiers des 3,3 milliards d’abonnés que comptera bientôt la planète.
La soudaine popularité dans les pays les plus pauvres est vertigineuse. Entre 2001 et 2005, révèle le rapport, les pays développés ont connu une faible augmentation de leur clientèle de 45 %. Pendant la même période, l’Afrique connaissait un boum de 415 %. On semble même y avoir abandonné la ligne fixe traditionnelle : il y a eu davantage d’activation de cellulaires en Afrique en cinq ans que de lignes fixes pendant un siècle. Et la soif du cellulaire est encore plus grande dans les anciens pays communistes du bloc de l’Est : plus de 715 % d’augmentation des abonnés en seulement quatre ans!
La téléphonie cellulaire vient donc damer le pion à une technologie pourtant florissante : Internet. «La téléphonie mobile est le plus important mode de communication dans les pays en développement, peut-on lire dans le document de l’ONU. Bien qu’Internet soit devenu une réalité pour des entreprises, des institutions publiques et les gens à revenu élevé, pour la vaste majorité de la population à bas salaire, la téléphonie mobile est en voie de devenir l’unique moyen de communication avec la société de l’information, à court et à moyen terme.»
La congestion au NordSi l’augmentation est plus timide en Amérique du Nord (croissance de 15,6 % au Canada en 2006), la pression exercée par les consommateurs d’ici sur les réseaux n’en demeure pas moins considérable. «La croissance de cette industrie est fulgurante, mais la ressource qu’est le spectre électromagnétique est limitée», explique Sébastien Roy, chercheur en télécommunications au département de génie électrique et informatique de l’Université Laval. Tous les appels faits avec un téléphone portable utilisent une fréquence oscillant entre 800 MHz et 2100 MHz. Ces fréquences sont octroyées lors d’enchères, où les opérateurs se les arrachent à coup de milliards de dollars.
Or, voilà que l’offre de nouveaux services multimédias (vidéophonie, téléchargement de musique, navigateur Web) sur les appareils est en train de sérieusement gruger cette ressource. «Il faut améliorer l’efficacité des antennes et les rendre plus intelligentes. La technologie est prête pour cela, mais les opérateurs traînent la patte, soutient Sébastien Roy. Ils ont investi tellement dans les réseaux actuels qu’ils ne veulent pas faire la migration tout de suite.»
Conséquence ? Le nombre d’abonnés canadiens continuera de croître dans un système de plus en plus limité. Et la quantité d’appels perdus ou bloqués augmentera. «On peut remarquer d’ailleurs que les réseaux de cellulaire d’aujourd’hui sont souvent moins fiables et stables qu’il y a 10 ans», conclut l’ingénieur.
Le Québec traîne la pattePar rapport aux pays développés et aux autres provinces canadiennes, le Québec compte une des plus faibles proportions d’utilisateurs de téléphones cellulaires.
Selon un sondage Decima Research de 2006 réalisé pour l’Association canadienne des télécommunications sans fil (ACTS), à peine la moitié (51 %) des ménages québécois possèdent un téléphone cellulaire.
C’est loin de la moyenne canadienne de 64 % et encore plus de celle de l’Alberta, qui se retrouve en tête avec 79 %. Même à l’avant-dernier rang, les Maritimes atteignent 63 %.
Alors, qu’est-ce qui cloche au Québec? La même chose qu’au Canada, avec quelques particularités, estiment les spécialistes.
Il faut savoir que selon les plus récentes statistiques de l’OCDE (2005), le Canada se classe avant-dernier sur les 30 pays industrialisés membres de l’organisation économique.
Peter Barnes, président et chef de la direction de l’ACTS, soutient que ce retard s’explique surtout par le faible coût du téléphone fixe au Canada.
«En Europe, quand vous avez un téléphone filaire, vous payez à l’appel, illustre-t-il. Tandis qu’ici, le cellulaire est à l’appel, mais le filaire ne l’est pas.» Pour cette raison, explique M. Barnes, plusieurs Canadiens se contentent d’un téléphone fixe.
Si les cellulaires sont moins utilisés au Canada et au Québec, c’est aussi parce que le marché local est un oligopole où «il y a moins de concurrence pour forcer les prix à la baisse», remarque Normand Turgeon, professeur de marketing aux HEC Montréal.
Pour l’utilisateur moyen, le service coûte environ un tiers de plus qu’aux États-Unis, calcule la firme de consultants SeaBoard Group.
Selon les données du CRTC, en 2006, Bell, TELUS et Rogers
(avec Fido) se partageaient respectivement 44 %, 21 % et 33 % du marché québécois (2 % pour les autres). Pour renforcer la compétition, Ottawa vendra d’ailleurs au printemps prochain de la capacité supplémentaire de transmission à des entreprises absentes du marché pour le moment.
Mais au-delà du coût, M. Turgeon pense que la culture joue aussi. Les jeunes Européens, par exemple, voient davantage le cellulaire comme un objet ostentatoire, croit-il. Pour eux, «c’est quasiment devenu la cigarette des années 50. (...) Ça démontre le style de vie de la personne».
Quant à savoir pourquoi les ménages du Québec en particulier possèdent moins de cellulaires, M. Turgeon estime que le plus faible revenu des Québécois par rapport aux autres Canadiens et leur dispersion géographique sont des facteurs à considérer. Il émet aussi l’hypothèse que les francophones utilisent moins le cellulaire que les anglophones ou les allophones parce que leur isolation linguistique rend leur «besoin de nouvelles technologies (de communication) moins prononcé».